Témoin inspirant #5 : Damien Carême

Maire de Grande-Synthe depuis 2001, Damien Carême fait partie des élus en pointe sur les questions de transition énergétique et de développement durable. A ses yeux, l’échelon local est indispensable à la réussite de la Troisième révolution industrielle. 

Faire d’une ville comme Grande-Synthe un laboratoire du développement durable et de la transition énergétique n’a sur le papier rien d’évident. D’où vient ce pari ?

Grande-Synthe se caractérise en effet par la présence d’industries lourdes et de sites classés Seveso. Plus largement, la commune est marquée par les stigmates de la désindustrialisation : un tiers des foyers y vit sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage se situe autour de 24 % depuis des années. Le plus grave est que ce mouvement n’est pas terminé, comme à Loos-en-Gohelle où la fermeture des mines remonte à plusieurs décennies et où la phase de résilience a commencé. Ici, la désindustrialisation n’est pas terminée : en deux ans, 600 emplois industriels ont encore été supprimés et il y a fort à parier que d’autres suivront dans les décennies qui viennent.

La spirale qu’entraîne cette situation est bien connue : ce sont les plus fragiles qui mangent le plus mal, qui renoncent aux soins faute de moyens, qui subissent la précarité énergétique, qui n’ont pas les moyens de se déplacer… Dans ce contexte, mon engagement se résume à une question : comment permettre à la population de vivre dignement ?

Par où commencer ?

La réponse ne peut être que globale. Sur Grande-Synthe, cela consiste à rompre la spirale que j’évoquai en avançant simultanément sur tous les angles : prévention, alimentation, environnement, pollution, santé… Il faut à la fois travailler sur l’isolation des logements pour réduire la facture énergétique, repenser la mobilité, discuter avec les industriels pour réduire les émissions polluantes… Avec Arcelor Mittal, nous nous penchons en ce moment sur les moyens de récupérer la chaleur fatale, celle que leurs installations industrielles dégagent et perdent dans l’atmosphère : autant éviter de chauffer les oiseaux… Le but est à terme de la capter et de s’en servir pour alimenter un réseau thermique sur Grande-Synthe, tout en garantissant aux habitants que le coût de la chaleur n’augmentera pas pendant 25 ans. C’est un exemple parmi d’autres de ce qui est à mes yeux une évidence : le développement durable est la voie qui doit nous permettre d’aider les hommes à vivre mieux, au niveau local comme à l’échelle de la planète, au travers d’une transition qui a des conséquences sur tout notre mode de vie.

Comme Jean-François Caron, vous défendez l’idée qu’à l’échelle d’une ville, cette transition ne peut se faire qu’avec l’implication des habitants. Comment portez-vous ce message ?

Comme disait Gandhi, « donner l’exemple n’est pas la meilleure façon de convaincre, c’est la seule ». La première étape consiste à tisser une relation de confiance avec les habitants, ce qui passe par la cohérence dans le temps des politiques engagées. Je viens d’une famille impliquée de longue date dans la vie de la commune puisque mon père en a été le maire jusqu’en 1992. Lorsque j’ai été élu en 2001, j’ai pu m’appuyer sur un nom connu, mais il m’a fallu me faire un prénom. Mon engagement au service du développement durable s’est forgé sur la durée, au fil de mes mandats successifs. Petit à petit, j’ai fait en sorte de porter ces idées en engageant par exemple Grande-Synthe dans le réseau Villes en Transition en 2011. Les citoyens se sont ensuite emparés du dispositif : des jeunes se sont associés pour installer des ruches dans la ville, d’autres travaillent sur les questions de mobilité, sur le réemploi de meubles abîmés… Toutes ces initiatives montrent qu’une prise de conscience se fait et qu’elle se traduit par des actes concrets. C’est pour leur permettre d’aller plus loin que nous avons décidé d’affecter 500 000 euros à des projets pensés et portés par des habitants, dans le cadre du budget participatif. C’est à la fois une marque de confiance, la reconnaissance de la valeur de ce qu’ils engagent et une manière de leur redonner les clefs de l’action collective… Le but est que ce fourmillement d’initiatives ne soit pas connecté à ma seule personne mais s’inscrive dans le temps et donne naissance à un cercle vertueux. Quelle que soit l’identité de celui qui me succédera un jour, j’aimerais que les habitants exigent de lui qu’il poursuive dans cette voie.

Quel est l’exemple le plus parlant de ce cercle vertueux que vous évoquez ?

L’exemple des jardins partagés en pied d’immeuble en est une belle illustration. Elle permet aux habitants de subvenir en partie à leurs besoins alimentaires, à partir de produits bio puisque la Ville les aide à travailler sans produits phytosanitaires. Même le fumier qui permet d’enrichir la terre est fourni par le cheval de la commune…

Le développement durable est la voie qui doit nous permettre d’aider les hommes à vivre mieux, au niveau local comme à l’échelle de la planète, au travers d’une transition qui a des conséquences sur tout notre mode de vie.
Damien Carême, Maire de Grande-Synthe

Certains nous ont même réclamé des ateliers sur la biodiversité, pour mieux comprendre la manière dont ils peuvent la favoriser en bas de chez eux. Au-delà, ces jardins contribuent à tisser un lien social réel, solide, concret et à instaurer de nouvelles formes de solidarité : les surplus qui ne sont pas consommés ne sont pas jetés, mais laissés à la libre disposition des autres habitants.

Comment articuler cette somme d’engagements individuels et l’action des pouvoirs publics ou parapublics, au niveau régional et national, voire international ? Quel est l’échelon le plus pertinent à vos yeux ?

Chaque niveau a son rôle à jouer mais je suis convaincu que rien ne peut se faire sans les collectivités locales, en particulier en matière de lutte contre le réchauffement climatique. C’est au niveau local que se prennent des décisions essentielles. Conserver ou développer des espaces verts, densifier l’habitat, créer des réseaux de transports en commun, favoriser le bio et les circuits courts dans les cantines… Ces décisions se prennent au niveau communal ou intercommunal. Que 177 chefs d’états signent la COP21 n’a de sens que si le niveau local s’engage sur le terrain. C’est ce que nous montrons en travaillant sur la récupération de la chaleur fatale des entreprises pour alimenter le réseau de Grande-Synthe et autour, en réécrivant le schéma de transport en vue de doubler le transport en bus d’ici 2020, et de le rendre totalement gratuit dès 2018… C’est bien au niveau local qu’on engage de telles décisions, même si des partenaires comme l’ADEME nous accompagnent.

Que vous a apporté la démarche initiée par le Conseil régional et la CCI ?

Elle nous a permis de gagner dix ans avec le monde économique. Si je m’étais présenté seul devant les entreprises en tenant le même discours que Jeremy Rifkin, nous aurions eu du mal à les convaincre. Son aura, sa fine connaissance du monde économique, le fait qu’il leur parle un langage qu’ils connaissent… Tout cela nous a aidé à passer des déclarations d’intention au développement des actions concrètes. Jeremy Rifkin a tissé le cadre théorique d’une Troisième révolution industrielle dont le monde politique s’est emparé ; elle prend corps avec le monde économique, au travers de partenariats utiles à tous.

Dans les années qui viennent, comment la démarche rev3 peut-elle vous aider à aller plus loin ?

Autour de rev3 gravitent un certain nombre d’outils et de financements publics et privés. Du côté de la commune, s’inscrire dans cette démarche nous permet de gagner en solidité, en crédibilité et en notoriété. Elle nous aide à porter nos projets et à obtenir des fonds auprès du FEDER. Au-delà, elle favorise le développement sur le territoire de projets entrepreneuriaux innovants grâce aux outils de financement créés ex nihilo, comme le livret d’épargne ou le fonds CAP3RI. Plus largement, elle contribue à une prise de conscience globale sur tout le territoire, du côté des habitants comme des acteurs économiques ou politiques.

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