Depuis des décennies, le Burkina Faso connaît une baisse de plus en plus sensible des précipitations, assortie d’une chute des rendements agricoles et d’une déstructuration majeure des structures sociales et économiques au nord du pays. A 180 kilomètres de Ouagadougou, dans la province du Yatenga, un agriculteur a pourtant réussi à barrer la route au désert en perfectionnant une technique agricole ancestrale. Un espoir pour tout le Sahel.
Un constat, une technique
Au « pays des Hommes intègres » – l’autre nom du Burkina Faso – le pari de Yacouba Sawadogo est longtemps passé pour une tentative désespérée de lutter contre l’avancée inexorable du désert au nord du pays. Et pourtant : cet ancien mécanicien, devenu paysan dans les années 80, a bel et bien réussi à enrayer la progression du sable dans l’une des zones les plus arides de la planète, à force de persévérance et d’inventivité.
Yacouba Sawadogo s’est appuyé sur la technique du zaï, une pratique agricole traditionnelle propre aux pays d’Afrique de l’Ouest (Mali, Niger, Burkina Faso). Eclipsé par la mécanisation depuis les années 50, le zaï est pourtant idéal sur des terres sableuses ou soumises à un fort déficit en eau. Il se caractérise par une culture en poquets, autrement dit par des trous de 15 à 20 centimètres de profondeur pour 35 de diamètre. Creusés à intervalles réguliers et répartis en quinconce, ils permettent d’accueillir un concentré d’eau et de déchets organiques qui font office de fumure.
Ce mélange attire alors des termites qui creusent de minuscules galeries tout autour, favorisant l’infiltration d’une eau qui s’évaporerait sans cela en surface. En digérant la matière organique, les termites rendent les nutriments plus facilement disponibles aux racines des futures plantes. Il ne reste plus qu’à planter des graines de millet ou de sorgho pour obtenir des rendements impressionnants, y compris sur des terres très pauvres comme celles du nord du Burkina Faso. Seul défaut du zaï : c’est un travail pénible et très exigeant en temps – son nom dérive d’ailleurs du mot « zaïégré » qui signifie « se lever tôt et se hâter pour préparer sa terre ».
Le zaï, dérivé de la culture en poquets, permet d’obtenir jusqu’à 100 x plus de rendements grâce à la concentration d’eau et de fumure dans les microbassins grâce aux termites qui creusent des galeries et rendent des nutriments favorables aux développement de nouveaux plants.
Le retour des animaux
La dureté du travail n’a pas empêché Yacouba Sawadogo de progresser pas à pas, par exemple en ayant l’idée d’utiliser la terre extraite des trous pour limiter l’érosion et retenir dans les poquets les matières organiques transportées par le vent.
En trente ans, l’homme a d’abord commencé par relancer des cultures de céréales avant de planter des arbres fruitiers, ce qui a permis l’émergence d’une véritable forêt qui atteint aujourd’hui une bonne vingtaine d’hectares, en bordure de ses champs, près du village de Gourga. Sélectionnés parmi des essences traditionnelles, les arbres ont grandi ; non seulement ils fournissent les habitants en bois de chauffe, mais le sous-bois a vu revenir une quantité de plantes disparues, notamment médicinales. Mieux encore, la zone s’est peuplée d’oiseaux, de rongeurs et de reptiles qui contribuent à reformer un écosystème de plus en plus diversifié, petit miracle de persévérance au cœur d’une zone désertique.
Longtemps pris pour un farfelu, Yacouba Sawadogo a fait école. Le retour de la verdure dans cette région du Yatenga conduit d’autres cultivateurs à s’installer. A 80 ans, Yacouba Sawadogo les forme encore sur le tas en profitant des jours de marché pour leur apporter ses conseils. Au fil des ans, des centaines de fermiers de la région ont bénéficié de ces échanges de graines et de techniques.
En quarante ans, Yacouba Sawadogo n’a eu de cesse de perfectionner ses pratiques et de la théoriser au point que le zaï n’est plus qu’un des aspects d’un ensemble de techniques réunies sous le nom de régénération naturelle assistée (RNA), un processus d’agroforesterie qui vise à protéger les plantules qui poussent naturellement sur un champ. Etudiée par des experts et des organismes du monde entier, la RNA est en plein boom dans les pays du sud du Sahara, d’autant qu’elle est peu onéreuse et simple à appliquer pour les producteurs. Entre innovation et tradition, on peut faire reculer les déserts…