La ville de Loos-en-Gohelle a été l’une des premières à mettre en œuvre des politiques de développement durable qui se prolongent aujourd’hui dans la démarche rev3. Laboratoire installé en plein bassin minier, la commune fait aujourd’hui figure de vitrine de la transformation urbaine, dans les Hauts-de-France et au-delà. Rencontre avec un élu passionné, son maire Jean-François Caron.
D’où vous viennent vos convictions écologiques ?
La manière dont nous gérons nos déchets et l’exploitation déraisonnable de nos ressources mettent en danger l’ensemble de nos écosystèmes. Quand la nature met des millions d’années à former du carbone, en relâcher la plus grande partie dans l’atmosphère en moins de deux siècles n’est pas une bonne idée… Le dérèglement climatique en est la meilleure preuve : je suis convaincu que ce n’est pas seulement le fait du hasard si la région voit le rythme des crues exceptionnelles s’accélérer ces dernières années.
Avez-vous la sensation d’avoir été un pionnier en matière de développement durable ?
L’importance de cette question dans le débat public ne peut que croître dans la mesure où la tension sur les ressources ne va pas se relâcher, au contraire. Petit à petit, la plupart des partis se sont emparés des thématiques du développement durable, et heureusement : avoir raison tout seul ne m’intéresse pas.
Je milite depuis longtemps dans ce seul but : se développer, c’est ménager à la fois l’homme et la planète. Le fait d’être un enfant du pays des gueules noires m’a probablement poussé à en prendre conscience assez tôt dans la mesure où ce territoire est une caricature de développement non durable. Le bassin minier a subi de plein fouet le choc de désindustrialisation et les ravages sociaux et économiques des années 80. L’espérance de vie y est l’une des plus basses de France, les nappes phréatiques sont très polluées…
D’où cette volonté de faire de votre ville un laboratoire…
Je n’ai pas un profil de commentateur, de théoricien ou d’analyste mais plutôt un tempérament de faiseur. C’est entre autres ce qui a permis à Loos-en-Gohelle d’entrer plus tôt que d’autres dans une démarche qui vise à trouver des solutions de terrain. Nous n’avons pas toutes les réponses, nous avons d’autant plus commis des erreurs que nous avons été des pionniers, mais nous avons me semble-t-il quelques réussites à notre actif. Le fait d’être au niveau national le seul démonstrateur de l’ADEME en matière de stratégie de conduite du changement montre que nous sommes sur la bonne voie, comme le fait que Loos-en-Gohelle ait été la seule visite de terrain des chefs d’Etat conviés pour la COP21.
Vous avez fait de la participation des habitants de votre commune la clef de sa transformation. Pourquoi ?
Sur un territoire à ce point meurtri par la disparition des mines, parler de développement durable peut paraître paradoxal. Proposer un projet de ville construit sur cette notion ne peut s’imaginer sans l’implication de tous. La construction d’une nouvelle vision collective suppose de redonner de la confiance, du courage et de la fierté aux citoyens. Changer le visage d’une commune, c’est d’abord changer l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, lutter pied à pied contre cette idée qu’en somme, cette ambition « ne serait pas pour eux ».
A Loos-en-Gohelle, notre volonté est de créer un terreau d’innovation. Il faut oser essayer, oser proposer des idées nouvelles, oser penser autrement et oser désobéir à l’habitude et au prêt-à-penser
En trente ans, quelle est votre réalisation la plus emblématique ?
Il me semble difficile de vous répondre, dans la mesure où nous avons activé tous les leviers possibles de l’action municipale en visant des résultats concrets, palpables et visibles. L’un des aspects les plus sensibles pour les habitants concerne l’écoconstruction systématique des bâtiments municipaux et du parc locatif à but social. Tous les projets intègrent du solaire thermique pour l’eau chaude, des toitures végétalisées, des systèmes de récupération d’eau pluviale… Au final, la facture énergétique des occupants ne dépasse pas 200 euros par an. Dans une période où les gens n’arrivent plus à régler leurs notes de chauffage, c’est une avancée précieuse et quantifiable au niveau individuel. D’autres progrès sont plus sensibles au niveau collectif.
Lesquelles ?
La gestion différenciée des espaces verts, la création d’une centrale solaire expérimentale, les pépinières d’éco-entreprises…L’ancienne Base 11/19, si emblématique des ravages de l’industrie minière, est devenue un lieu de développement innovant, avec une centaine d’emplois à la clé, et accueille le Centre de Création et de Développement des Eco-Entreprises (CD2E) qui accompagne l’installation des éco-entreprises de la région. Les services de la ville n’utilisent plus d’eau potable, nous avons planté des arbres fruitiers dans toute la ville pour permettre aux habitants de se servir librement… Quand je vois que tout un trafic de pots de confitures se met en place entre les habitants, c’est une belle récompense. Et la preuve que petit à petit, pas à pas, nous reprenons pied.
Vous évoquez parfois le « code source » de Loos-en-Gohelle. Qu’entendez-vous par là ?
C’est une manière de désigner la structure et les particularités de l’expérience menée à Loos. Autour d’un socle de valeurs communes, nous avons souhaité nous appuyer sur quatre piliers, à commencer par l’implication des habitants. C’est elle et pas l’action publique qui fait que les circuits courts se développent ou que 10 % de nos surfaces agricoles sont aujourd’hui cultivées en bio pour une moyenne nationale à 4 %. Obtenir un tel résultat suppose d’avoir convaincu les agriculteurs de se lancer et les consommateurs d’adhérer. Le deuxième pilier touche à la démarche systémique : nous faisons en sorte de réfléchir aux conséquences de chaque nouvelle initiative sans nous arrêter à son intérêt immédiat. Cette volonté suppose un travail transversal considérable mais cette sortie de la pensée en silo permet d’éviter la mise en place de politiques incohérentes ou paradoxales. Le troisième pilier consiste à créer un terreau d’innovation. Donc d’oser essayer, d’oser proposer telle ou telle innovation, d’oser penser autrement et d’oser désobéir à l’habitude et au prêt-à-penser.
Vous évoquiez quatre piliers…
Le dernier pilier consiste à rendre le développement durable désirable. On ne fait pas changer les comportements en culpabilisant les gens, en les punissant ou en leur faisant la morale mais en réhabilitant le rêve et l’imaginaire, en passant d’une logique de défiance ou d’abandon à une logique d’espérance. A Loos, cela consiste à montrer que la ville se relève du charbon pour imaginer autre chose, et le faire autrement. Pour atteindre cette étoile, on sème des petits cailloux. Installer une toiture solaire sur le toit de l’église, ce n’est pas grand-chose : à peine l’équivalent de la consommation énergétique annuelle de douze ménages. Supprimer les produits phytosanitaires, mettre des corridors biologiques en place et voir les pic-vert revenir dans le centre-ville, ça ne change pas le monde. Mais c’est un petit caillou…
Est-ce une forme de démonstration par la preuve ?
Bien sûr ! Pour sensibiliser la population, je peux proposer une conférence de trois heures sur l’écoconstruction : il y a fort à parier que personne n’y assistera. Mais lorsque le journal municipal publie la facture énergétique annuelle du locataire d’un T4, limitée à 148 euros, le message passe d’autant mieux qu’il repose sur un élément factuel. Les gens ont besoin de preuves et chaque nouveau petit caillou renforce notre dynamique. De proche en proche, ces résultats concrets sont autant de petites victoires qui contribuent à redonner à chacun confiance en soi, en ses voisins et en l’action publique.
Votre modèle est-il déclinable ailleurs ?
C’est tout l’intérêt de ce code-source, qui peut être resté et adapté sur d’autres territoires. C’est la raison qui fait que des élus de tous bords s’intéressent au modèle de Loos, comme le maire de Fourmies que j’ai accepté d’accompagner en dehors de tout esprit partisan. Nous ne sommes pas des sauveurs : notre modèle n’est pas exempt d’erreurs et n’est pas nécessairement transposable dans des territoires qui n’ont pas subi le choc de désindustrialisation qui nous a touché. Ainsi, comment porter les thématiques qui nous sont chères à Nantes ou à Lyon, alors que ces territoires ne rencontrent pas de problèmes majeurs ? Notre réponse reste locale, mais et nous pouvons aider d’autres territoires à développer leur propre code-source. C’est en créant des cellules souches un peu partout en France et dans le monde, en tissant des liens entre elles, que nous ferons naître un nouvel écosystème global.